Oradour-sur-Glane : 80 ans après, les massacres de la sinistre Das Reich

Les exactions macabres de la division SS sèmeront la désolation dans le grand Sud-Ouest au cours du mois de juin 1944. Les plus tristement connues sont les pendaisons à Tulle ou le sort terrible du village martyr d’Oradour-sur-Glane.

Dans la mémoire commune, la fin de l’Occupation allemande en France est assimilée à la remontée de la division Das Reich vers la Normandie. Lors de leur passage, les troupes exécutent par pendaison 99 hommes à Tulle (Corrèze), le 9 juin, et exterminent 643 hommes, femmes et enfants à Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne), le lendemain.

Le pouvoir gaulliste fera d’Oradour le principal symbole de la radicalisation de la répression allemande dans la période du Débarquement. Ensuite, les polémiques liées aux lois d’amnistie, notamment celle de 1953 qui bénéficie aux criminels de guerre, focaliseront l’attention.

Or, fait méconnu, plus de la moitié des soldats de la division SS sont restés dans le Sud-Ouest pendant de nombreuses semaines après le Débarquement : 8 610 soldats nazis étaient ainsi stationnés, au 20 juin 1944, dans 35 villes de Haute-Garonne, du Tarn-et-Garonne et du Lot-et-Garonne.

Outre leur mission de maintien de la continuité territoriale entre la côte atlantique et la côte méditerranéenne, ils mènent de nombreuses opérations visant à anéantir les résistants et à terroriser les populations pour prévenir des soulèvements populaires. Il reste trop peu connu que près d’un tiers de leurs crimes de guerre comptèrent des femmes et des enfants.

Une succession de massacres dans le Sud-Ouest

À titre d’exemple, à Marsoulas, petit village de Haute-Garonne, 27 habitants sont tués le 10 juin par une compagnie de la Das Reich, dans le cadre d’une opération ciblant le maquis FTP de Betchat (Ariège), dirigé par le jeune communiste Jean Blasco. Il sera établi après guerre que ce maquis a notamment été dénoncé par le curé du village, un des collaborateurs locaux. Parmi les victimes du carnage, 12 mineurs – dont 5 très jeunes enfants – et 6 femmes.

Autre exemple méconnu, le 23 juin 1944, une autre compagnie de la Das Reich, stationnée, elle, à Valence-d’Agen, se rend successivement à Saint-Sixte et à Caudecoste (Lot-et-Garonne), puis à Dunes (Tarn-et-Garonne), et tue 30 habitants. À Saint-Sixte, la troupe se livre au seul massacre collectif de Tsiganes mené en France pendant la Seconde Guerre mondiale.

Il compte 14 victimes, dont 6 femmes et 6 enfants. Croisant deux roulottes de forains stationnées près de l’église du village, les soldats opèrent comme la division SS avait eu l’habitude de le faire face aux juifs et à la population honnie des Zigeuner (Tsiganes), à l’arrière du front de l’Est de l’Europe : une fusillade de tous les nomades présents, femmes et enfants en bas âge compris. La singularité de ce massacre, perçue très récemment, tient à sa dynamique génocidaire : les victimes, qui n’ont aucun lien avec la Résistance, représentent une population à éliminer au nom de la pureté raciale.

Lors de la même expédition, à Caudecoste, où l’institutrice et résistante Denise Baratz, âgée de 23 ans, cache une famille juive, les soldats tuent deux partisans. Enfin, à Dunes, cible initiale de l’opération, les officiers SS mettent en scène une pendaison collective destinée à terrifier ce village repéré de longue date par les autorités françaises comme un « bourg à tendance communiste », très impliqué dans la Résistance.

Des carnets de dénonciations bien renseignés

À l’origine de cette journée sordide, un cahier de dénonciations rédigé par deux habitantes a été déposé à la Kommandantur de Valence-d’Agen quatre jours plus tôt. Ce cahier, archivé depuis la guerre et publié récemment, comptait 46 noms de familles de Dunes et du village voisin, Sistels : des familles « rouges », hostiles aux Allemands ou « terroristes », c’est-à-dire résistantes. Autre exemple parmi bien d’autres qui n’ont jusqu’ici pas été étudiés : la pendaison de deux femmes à Flamarens (Gers), le 10 juillet 1944, car le mari de l’une d’entre elles, le résistant communiste Charles Castarède, était au maquis.

Quatre-vingts ans après ces massacres, dont beaucoup restent à décrire avec soin à l’aide des nombreuses sources aujourd’hui accessibles et dans l’écoute des rares témoins encore vivants, on attirera l’attention sur quelques enjeux. D’abord, le rôle décisif d’une « collaboration citoyenne » d’habitants dans le déclenchement des opérations répressives : elle offre à la Gestapo (la police allemande, incluant de nombreux supplétifs français) et à l’armée allemande les informations indispensables pour opérer.

Ensuite, l’étroite complicité de l’État pétainiste dont les protestations, quand elles existent, expriment en fait un soutien complet au but et aux moyens employés par les nazis. Aussi, le rôle de la presse pour alimenter un climat de délation des « terroristes » et pour que l’opinion reste sage, ainsi que l’attitude de l’Église catholique, dont le comportement remarquable de quelques rares évêques ne peut occulter l’implication, à tous les niveaux, dans la collaboration et l’indifférence au sort des juifs.

Enfin, soulignons le rôle de la diffusion de l’idéologie nazie parmi les soldats allemands, formatés dans les Jeunesses hitlériennes, mais aussi au sein d’une partie de la population française : elle conduit à des exactions inutiles sur le plan militaire et monstrueuses sur le plan humain.

Qu’il s’agisse de la banalisation de la haine dans la société ou de la délation sous toutes ses formes, l’intérêt pour l’histoire de la Seconde Guerre mondiale peut contribuer à comprendre et à combattre les dangereuses dynamiques politiques à l’œuvre aujourd’hui.

Auteur de Sortis de l’ombre. Tsiganes, résistants, communistes (Arcane 17) et les Violences de l’Occupation dans le Sud-Ouest (La Geste).

https://www.humanite.fr/en-debat/80-ans-de-la-liberation/oradour-sur-glane-80-ans-apres-les-massacres-de-la-sinistre-das-reich

 

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