Dans la majorité des médias, le choix du « Tout sauf le Nouveau Front populaire » ?

Depuis l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, un cap a été franchi dans le traitement médiatique réservé à la gauche. La virulence des attaques se répand, couplée à une trop fréquente complaisance envers l’extrême droite. Jessica Stephan

Le groupe de Vincent Bolloré , roule pour le R.N

Il a fallu plusieurs heures pour qu’ils s’en rendent compte. Dans la soirée du 10 juin, les principales formations de gauche annoncent la création du Nouveau Front populaire (NFP), une alliance inédite, destinée à vaincre l’extrême droite et à remporter les élections législatives anticipées.

Mais, en direct, sur la plupart des chaînes d’information en continu, l’événement semble d’abord anecdotique. Peu de temps d’antenne lui est alors consacré. En quelques jours, le NFP prend cependant de l’ampleur, rassemblant un périmètre jamais vu à gauche et suscitant l’espoir, et finit par se tailler une place sur les plateaux. Mais beaucoup de médias privés y voient l’ennemi à abattre.

La palme revient à CNews et Europe 1, chaînes possédées par le milliardaire d’extrême droite Vincent Bolloré – qui lorgne désormais le Figaro – toujours prêtes à exalter le RN et à qualifier le NFP de « coalition du déshonneur ». Le programme de la gauche unie mènerait, selon elles, le pays « à la ruine ».

Pascal Praud et Cyril Hanouna, les bouffons du roi Bolloré

« Les Français ont le sentiment, qui est sans doute vrai, que la FI est infréquentable, extrémiste, et que le RN, c’est autre chose, ce n’est pas un parti qu’ils qualifieraient d’extrême droite, si tant est qu’on puisse définir l’extrême droite », insiste Pascal Praud dans la nouvelle émission de Cyril Hanouna si bien nommée On marche sur la tête.

« Cette fois-ci, s’il y a un front républicain, il est du côté du RN. Ils sont beaucoup plus républicains, beaucoup moins dangereux que leurs adversaires. Je trouve intéressant de voir, s’il y a un second tour entre cette gauche radicale et ce bloc national, comment vont se prononcer les habituels donneurs de leçons, est-ce qu’ils vont faire barrage ou pas à la gauche antisémite ? » ajoute le journaliste Alexandre Devecchio, en charge du FigaroVox, dans l’Heure des pros, sur CNews.

Et le directeur des rédactions du Figaro, Alexis Brézet, de cogner lui aussi, qualifiant sur Europe 1 le NFP d’« union avec des antisémites, des vrais ! des antiparlementaristes, des vrais ! des factieux, des vrais ! ».

BFM fait du CNews

L’attaque est frontale, alors même que les chaînes du groupe Bolloré ont plusieurs fois été rappelées à l’ordre par l’Arcom pour leurs pratiques médiatiques, totalisant 44 mises en garde, mises en demeure et amendes depuis 2012.

Mais BFMTV n’est pas en reste. L’antenne, en plein remaniement éditorial, a donné pour consigne à ses équipes de donner davantage la parole à des éditorialistes de droite et d’extrême droite, comme l’a révélé Mediapart. Une liste a même été envoyée.

L’idée : « L’électeur de Bardella n’a pas envie d’entendre que son candidat est nul, qu’il n’a pas de programme ou qu’il est raciste. Il faut parler à ces gens-là pour qu’ils ne se détournent pas de BFM », résume une journaliste de la chaîne.

Des éditorialistes au ton insidieux ou suspicieux

Les responsables de gauche sont aussi souvent les cibles d’un ton insidieux ou suspicieux. Au lendemain d’un meeting de soutien au NFP, à Montreuil, le 17 juin, Olivier Faure (PS) était l’invité d’Apolline de Malherbe. Au sujet de la foule présente, la présentatrice demande : « Il n’y a pas quelque chose qui vous a frappé ? » Et de poursuivre : « Il n’y a pas du tout de drapeau français. Il y avait des drapeaux palestiniens, des drapeaux du Front populaire, des drapeaux de la France insoumise, mais il n’y avait aucun drapeau français. ».

Manière d’exclure implicitement la gauche (qualifiée d’« anti-France » par ses adversaires) et ceux qui votent pour elle du champ républicain. Au menu du reste de ce face-à-face parfois proche du réquisitoire : l’antisémitisme supposé de la FI, prétexte principal à la charge contre la gauche – juste avant les divisions internes et le chiffrage du programme.

Michaël Zemmour, un « économiste classé à gauche » sur France Info

Un autre jour, sur LCI, une journaliste en plateau lance un sibyllin : « Vous vous rendez compte qu’avec le package proposé par le NFP, on en vient presque à se dire que ce que propose le RN, c’est moins coûteux que ce que propose la gauche ? », avant de reprendre le cliché éculé selon lequel ce sera la « dépense à gogo », sans se poser la question des différents modèles économiques mis en débat.

L’économiste Michaël Zemmour lui répond que la gauche compte sur de nombreuses nouvelles recettes, tout comme il l’a fait sur France Info, où le journaliste a conclu l’échange en glissant : « Merci, Michaël Zemmour, économiste classé à gauche », comme pour prendre une distance. Pourquoi pas. À condition que les économistes de droite soient eux aussi qualifiés comme tels…

Certaines questions posées, jusque sur les antennes et sur les plateaux du service public – que le RN voue à la privatisation –, interpellent donc elles aussi tant la banalisation de l’extrême droite et la mise en accusation de la gauche se sont imposées.

À gauche on interrompt, à droite on laisse parler

À différents degrés, un deux poids, deux mesures s’installent. Invité de France Info le 19 juin, Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, a pu l’expérimenter. Interruptions fréquentes, citations partielles des partenaires… jusqu’à la présentation tronquée des mesures du programme du NFP, en omettant des précisions clés pour leur compréhension.

Ainsi, devant la question : « Est-ce que c’est bien 50 milliards d’euros de hausse d’impôts prévue dès cet été ? », le député sortant du Nord a été contraint de recadrer le présentateur : « Est-ce que tout simplement vous pourriez préciser que ces hausses d’impôts concernent le capital, c’est-à-dire les plus riches ? ».

La veille, la ministre de la Culture, Rachida Dati, invitée sur France Inter, affirmait que François Hollande « fait campagne avec des antisémites », sans que les journalistes ne relèvent ou ne lui demandent d’étayer ses accusations.

« Une barrière a été franchie, en commençant à laisser entendre que la FI est antisémite »

Mathias Reymond, président d’Acrimed, décrypte cette évolution : « Une barrière a été franchie, en commençant à laisser entendre que la FI est antisémite. ». Un mouvement qui « s’est aggravé avec la dissolution, pour inciter les électeurs à ne pas aller vers la FI et le NFP. Alors que les accusations n’ont jamais été étayées nulle part, à aucun moment, par les défenseurs de cette thèse ».

Un stupéfiant renversement s’opère : le RN est présenté comme respectable et la gauche, non. « On n’étudie pas, de manière aussi rigoureuse, les candidatures du RN qui ont eu des positions clairement racistes, clairement antisémites, qui ont eu des condamnations », déplore Mathias Reymond.

Une illustration ? Lorsque le chroniqueur Olivier Dartigolles, sur CNews, tente : « Pour éviter le deux poids, deux mesures, est-ce qu’on peut regarder certains profils de candidats RN ? », Pascal Praud embraye sans lui laisser la parole. Le président d’Acrimed alerte : « Ce qui me semble le plus effarant, c’est que les journalistes sortent de leur rôle de journalistes pour attaquer le NFP. ».Tout sauf le Nouveau Front populaire ?

Un mouvement favorisé par l’extrême concentration du secteur de la presse et la course à l’Audimat. « Il y a un combat politique, idéologique, mené par la plupart des médias et des éditorialistes qui ne se retrouvent pas du tout dans le programme de la gauche », poursuit Mathias Reymond.

« Il y a un affrontement entre deux blocs, un de gauche et un d’extrême droite. Et les médias ont fait, pendant des années, à la fois le jeu du RN en privilégiant les thèmes qu’il met en avant et, de l’autre côté, critiqué et tapé de manière assez virulente sur la gauche de la gauche. Ils ne peuvent plus défendre les seconds face aux premiers. ».

Avec une conséquence glaçante : « Le choix d’une partie des médias, c’est : tout, sauf le Nouveau Front populaire. » Tout, même le Rassemblement national.

https://www.humanite.fr/politique/cnews/dans-la-majorite-des-medias-le-choix-du-tout-sauf-le-nouveau-front-populaire

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