Israël : « Vous ne pourrez pas enlever le sang que vous avez sur les mains », dénonce le prêtre Munther Isaac de Bethléem

Après huit mois de bombardements et d’opérations militaires israéliennes sur l’enclave palestinienne de Gaza et plus de 35 000 morts, Munther Isaac, prêtre de Bethléem en Palestine appelle les pays occidentaux à répondre de leur responsabilité. Parti de Bethléem pour dénoncer en Afrique du Sud les crimes commis par Israël en Palestine, il réclame de stopper urgemment le génocide et d’en finir avec l’apartheid. Pierre Barbancey

Comme un scénario écrit que rien ne vient déjouer. Le gouvernement va envoyer des troupes supplémentaires à Rafah, que des centaines de milliers de Palestiniens continuent de fuir. L’ensemble de la communauté internationale a alerté sur les dangers de cette nouvelle offensive alors que le bilan s’établit déjà à 35 000 morts.

Mais Benjamin Netanyahu déroule sa stratégie. Il ne manquera pas de bombes depuis que Joe Biden a décidé de reprendre les livraisons, quelques jours seulement après avoir annoncé les suspendre. L’Afrique du Sud demande à la CIJ (cour internationale de justice) d’enjoindre Israël à prononcer cessez-le-feu à Rafah mais Tel-Aviv n’a jusqu’ici respecté aucune des ordonnances de la plus haute juridiction de l’ONU. Une impunité que dénonce Munther Isaac, prêtre de Bethléem.

Le Cap (Afrique du Sud), envoyé spécial.

Vous avez beaucoup insisté pour que l’Église parle davantage. Vous sentez-vous isolé ?

Munther Isaac , Prêtre de Bethléem en Palestine

Un génocide est en cours à Gaza et nous ne pouvons ni rester silencieux ni verser dans la diplomatie superficielle. Ceux qui aujourd’hui parlent sont courageux et nous leur sommes reconnaissants. Dans plus de 100 pays, des marches, des pèlerinages ont été organisés pour un cessez-le-feu.

Je ne peux donc pas dire que l’Église est entièrement muette. Mais nous restons déçus, et particulièrement en colère contre les positions prises par certains pays occidentaux qui ont justifié ces crimes – comme l’a fait le sionisme chrétien – ou ont préféré garder le silence en prétextant la neutralité. Quand il y a un génocide, vous ne pouvez pas simplement vous asseoir sur le côté et prier pour la paix. Au contraire, il faut appeler les choses par leur nom. C’est ce que nous faisons.

Avez-vous été entendus ?

Nous avons parlé de génocide dès le début de cette guerre. En tant que Palestiniens, nous luttons depuis longtemps et nous savions exactement ce qui allait se produire. Mais personne ne nous a crus. Comme d’ailleurs personne ne nous avait pris au sérieux lorsque nous évoquions un système d’apartheid (dans les territoires occupés – NDLR).

Aujourd’hui, les Israéliens le disent ouvertement : tout le monde à Gaza est une cible, il n’y a pas de civils innocents. Quand nous avons vu les gens se déplacer du Nord au Sud, les souvenirs de notre Nakba de 1948 sont remontés. À l’époque, la moitié des Palestiniens sont devenus des réfugiés. Jamais nous ne nous attendions à ce que cela soit pire encore. Certains dirigeants de l’Église m’avouent maintenant : « Vous aviez raison et nous ne vous avons pas cru. »

Attendez-vous une condamnation des autorités israéliennes ?

Un génocide est un crime de guerre. Nous espérons que l’État d’Israël rende des comptes. Mais personne ne tient jamais les autorités israéliennes pour responsables. Depuis 76 ans, Israël commet des crimes de guerre, enfreint le droit international et n’a jamais été condamné. Cet État jouit d’une immunité grâce au veto américain au Conseil de sécurité de l’ONU. Je suis horrifié. Depuis sept mois, les habitants de Gaza dénoncent ce qu’ils subissent.

« La guerre ne résout pas les choses, l’amour oui. »

Sept mois de plaidoyer dans le monde entier, de manifestations dans les rues. Et rien ne s’est passé. C’est pourquoi nous avons particulièrement apprécié l’attitude de l’Afrique du Sud qui a saisi la Cour internationale de justice.

Que pensez-vous de l’attitude des pays occidentaux, et surtout de la France, qui est en charge de certains lieux saints à Jérusalem ?

Les pays occidentaux, en particulier les soi-disant superpuissances, sont tous venus à Tel-Aviv et à Jérusalem, la semaine après le 7 octobre, et ont donné le feu vert pour ce génocide. Depuis, tous les mots qu’ils prononcent pour se préoccuper de la vie des civils palestiniens sonnent creux. Ils sont complices de ce qui se passe.

Et je leur dis : « Vous avez entendu dès le premier jour qu’Israël coupait les accès à l’électricité, à l’eau, à la nourriture. Vous saviez et vous n’avez rien dit. Maintenant, vous voulez nous montrer que vous êtes inquiets. Vous ne pourrez pas enlever le sang que vous avez sur les mains. »

Par ailleurs, nous en avons assez de ce genre de relation où les pays occidentaux se sentiraient obligés de nous protéger en tant que chrétiens en Palestine. Nous ne cherchons pas une protection spéciale, nous voulons l’égalité et la justice, la fin de l’apartheid et de l’occupation. Nous n’avons pas besoin de gardiens de nos lieux saints. Nous pouvons nous en occuper. Mais tous veulent un morceau de la Terre sainte. Nous, peuples autochtones de ce pays, sommes relégués à la marge.

Quel est l’impact de ce qui se passe aujourd’hui à Gaza et en Cisjordanie pour le reste du monde ?

Ce qui se passe en Palestine a des répercussions directes et indirectes sur d’autres situations. Aujourd’hui c’est la Palestine, demain ce sera ailleurs, car nous faisons face à la même idéologie de ségrégation et de suprématie. Nous devons nous unir pour nous y opposer et offrir une alternative. C’est ce que nous faisons en tant que chrétiens et musulmans palestiniens actuellement. Lorsque vous subissez un génocide, vous devenez un seul et même peuple. Une balle ne fait pas de différence entre un chrétien et un musulman.

Gaza est devenue une boussole morale. Ce qu’il s’y passe a divisé le monde et nous devons prendre parti, indépendamment de notre foi, de notre nationalité ou de notre origine ethnique. Quand nous nous rassemblons, musulmans, chrétiens, juifs ou appartenant à d’autres religions, nous sommes unis, pas seulement dans notre préoccupation pour Gaza, mais pour dire que nous sommes tous égaux. La guerre ne résout pas les choses, l’amour oui. Nous sommes fatigués du colonialisme, de l’exploitation des peuples pour l’expansion et la richesse.

Vous avez dit que l’Afrique du Sud devrait prendre une plus grande place sur la scène internationale. À quoi pensez-vous ?

L’Afrique du Sud a eu le courage de poursuivre Israël devant la Cour internationale de justice et elle a prouvé qu’elle pouvait prendre l’initiative de nous rassembler dans le cadre des différents contextes du Sud global. Mais il est important d’agréger d’autres pays, d’autres voix pour former, d’une manière ou d’une autre, une coalition internationale fondée sur la justice et l’intégrité.

https://www.humanite.fr/monde/afrique-du-sud/israel-vous-ne-pourrez-pas-enlever-le-sang-que-vous-avez-sur-les-mains-denonce-le-pretre-munther-isaac-de-bethleem

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