« Sous les écrans, la dèche » : les précaires des festivals de cinéma s’invitent à Cannes

Plus de 300 personnalités du cinéma (producteurs, agents, comédiens, cinéastes, vendeurs, attachés de presse, programmateurs, directeurs de festivals, exploitants…) dont Lætitia Dosch, Ariane Labed, Swann Arlaud, Pierre Richard, Louis Garrel, Aïssa Maïga, Alain Guiraudie, Patricia Mazuy ou Abderrahmane Sissako. , soutiennent le collectif Sous les écrans, la dèche ( https://souslesecransladeche.wordpress.com)

Le 14 mai 2024, des travailleurs installent le tapis rouge sur les marches du palais du Festival.

Après un appel à la grève, la semaine dernière, le collectif Sous les écrans, la dèche veut utiliser Cannes comme une caisse de résonance pour se faire entendre. Michaël Mélinard

Cela devient un triste marronnier. Le collectif Sous les écrans, la dèche, regroupant environ 300 précaires des festivals de cinéma s’était déjà mobilisé en 2023 pendant le Festival de Cannes. Sans succès puisque sa principale revendication, rentrer dans le régime de l’intermittence, n’a pas été suivie. Après un appel à la grève de tous les salariés du Festival de Cannes, le 6 mai, le collectif refuse d’indiquer les actions à venir pour ménager un effet de surprise.

Mais, la perspective de l’entrée en vigueur, le 1er juillet, d’un décret réduisant le droit à l’assurance-chômage exacerbe le sentiment d’urgence. Chargés de l’accueil des invités, de la programmation, de la billetterie, de la régie, de l’hébergement, de l’accompagnement des jurys, de la communication ou projectionnistes, ils sont nombreux à envisager de quitter la profession.

Avant la réforme de 2003, qui avait mobilisé les intermittents du spectacle, ces précaires bénéficiaient de ce régime. Une manière de vivre dignement entre deux contrats pour ces salariés qui concourent, avec des horaires à rallonge et un investissement de tous les instants, à la bonne tenue de ces rendez-vous prisés du public.

« On veut passer sous le régime des intermittents car nos métiers sont intermittents »

Depuis, leur statut change au gré des festivals. Une situation qui interroge également les organisateurs, désormais alertés sur les difficultés de leurs salariés. « Parmi nos adhérents, le statut associatif est quasi généralisé, mais il y a 9 codes APE et une demi-douzaine de conventions collectives différentes auxquels les festivals sont rattachés », confirme Antoine Leclerc, délégué général de Carrefour des festivals, une association qui regroupe une soixantaine de festivals de cinéma.

Une prise de conscience du mal-être des précaires qui s’accompagne de la crainte de perdre ce personnel qualifié. Car, sans eux, pas de festivals de cinéma. Faute de statistiques fiables, leur dénombrement est difficile mais la CGT les évalue à environ 5 000.

Léo Guthmann a commencé comme bénévole au Cinéma du réel à Paris avant de renouveler l’expérience à Lussas et à Lumière, à Lyon. Il a ensuite fait un stage à Brive, un service civique au Cinéma du réel, un CDD à mi-temps puis à temps plein au Fipadoc de Biarritz, puis aux Champs-Élysées Film Festival à Paris. Selon les besoins, il fait de la médiation, de la programmation ou de la production événementielle.

Pourtant, à 24 ans, il se pose déjà la question de la pérennité de son activité. « Je suis toujours très motivé et content de travailler dans ces événements riches professionnellement, humainement et culturellement. Mais je ne me berce pas d’illusions sur la possibilité de continuer très longtemps. J’habite toujours chez mes parents, sans aucune perspective de partir rapidement, mais la mobilisation portée par le collectif donne aussi pas mal d’espoir », tempère-t-il.

Mathilde Carteau travaille depuis vingt ans dans les festivals de cinéma et songe sérieusement à arrêter. « On jongle tout le temps avec des contrats différents. On est dans l’illégalité permanente avec, par exemple, du bénévolat défrayé qui passe quelque temps en CDD. On réclame que les festivals soient affiliés à une convention collective commune qui nous protège et donne un cadre sur les heures supplémentaires, les jours enchaînés sans repos. On veut passer sous le régime des intermittents car nos métiers sont intermittents », rappelle-t-elle.

Quid de leurs employeurs, les festivals soumis aux contingences financières des collectivités régionales et locales ? « On a alerté le CNC depuis très longtemps au sujet de cette situation de tension double sur les économies des associations organisatrices des festivals et également sur les personnels – évidemment, les précaires et les renforts ponctuels, présents quelques semaines ou quelques mois –, mais aussi dans les équipes permanentes. Aujourd’hui, on constate des non-remplacements, des difficultés sur l’emploi pérenne, même si l’emploi le plus précaire est encore plus touché », alerte Antoine Leclerc.

Il y a un an, l’annonce de la réduction drastique de la subvention allouée par la région Auvergne-Rhône-Alpes au Festival du court métrage de Clermont-Ferrand avait déclenché un mouvement de soutien à Cannes, mais aussi rappelé la fragilité de ces festivals. « L’exemple en Auvergne-Rhône-Alpes est caricatural, radical et très abrupt, mais il ne saurait occulter des phénomènes de stagnation. Même en période d’inflation basse, les non-revalorisations de soutiens traduisent une érosion des moyens, mais en période de forte inflation qui frappe des dépenses comme l’hôtellerie, la restauration, les transports ou l’impression, le dérapage est très brutal », confirme Antoine Leclerc. Mais les précaires ne veulent pas être des variables d’ajustement.

Un énorme vide juridique autour de tous ces métiers de festivals

Judith (le prénom a été modifié), projectionniste au Festival de Cannes depuis une dizaine d’années, a accepté de témoigner en conservant l’anonymat, pour « pouvoir continuer à travailler ». Et pourtant, « on s’en sort mieux que la plupart des précaires parce que, en trichant, on arrive parfois à avoir des contrats d’intermittents », avoue-t-elle.

Une qualification de technicien vidéo au lieu de projectionniste permet ponctuellement d’obtenir le statut. « Il y a un énorme vide juridique autour de tous ces métiers de festivals », ajoute-t-elle. Membre de Sous les écrans, la dèche, elle appartient aussi au collectif des projectionnistes, le Prout (projectionnistes utopistes), « le collectif qui ne manque pas d’air mais fait du bruit ».

Au-delà de la boutade, l’acronyme montre que les précaires s’organisent. « Je n’arrive pas à comprendre pourquoi la secrétaire de TF1 est payée en tant qu’intermittente du spectacle alors qu’elle a un seul employeur en douze mois, alors que nous ne pouvons pas y accéder avec 10 employeurs différents dans l’année », s’agace-t-elle.

Un constat partagé par une employée du bureau de presse de la Quinzaine des cinéastes, sélection parallèle et indépendante du Festival de Cannes. « Notre travail est assez proche du rythme des saisonniers du tourisme. On alterne des contrats courts et des périodes chômées. Et c’est exactement ce qu’empêche la réforme. Le ministère du Travail ne veut plus que les gens puissent travailler trois mois puis toucher deux mois le chômage. Mais il y a des métiers dont c’est la nature même. Nous sommes les dommages collatéraux de la réforme », se désole-t-elle.

Signe que la filière a pris en compte le problème, une tribune de soutien au collectif a déjà été signée par plus de 300 personnalités du cinéma (producteurs, agents, comédiens, cinéastes, vendeurs, attachés de presse, programmateurs, directeurs de festivals, exploitants…) dont Lætitia Dosch, Ariane Labed, Swann Arlaud, Pierre Richard, Louis Garrel, Aïssa Maïga, Alain Guiraudie, Patricia Mazuy ou Abderrahmane Sissako.

https://www.humanite.fr/culture-et-savoir/festival-de-cannes/sous-les-ecrans-la-deche-les-precaires-des-festivals-de-cinema-sinvitent-a-cannes

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